Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/28

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Un aveu triste et touchant lui avait échappé déjà depuis longtemps dans une de ses lettres ; elle avait écrit : « J’ay porté plus que mon faix de l’ennui commun à toute créature bien née. »

Créature bien née en effet, née pour les plus nobles douleurs, née pour souffrir avec toute l’humanité souffrante, et qui dans la bataille de la vie n’apporta jamais que le baume et les electuaires, âme douce et haute, toute de paix, brave dans l’amitié, ne s’épargnant pas pour épargner les siens et perdant le repos pour le repos des amis ! Je veux lui appliquer cette belle parole que Sophocle fait dire à Antigone. Un peu de grec n’est pas pour effrayer l’ombre d’une si docte princesse :

[citation en grec]

L’honnête Marguerite aimait les joyeux propos et riait volontiers des aventures de frocs et de cotillons. À l’égard du bien dire et du gai parler elle en savait, comme dit Brantôme, « plus que son pain quotidien ». Boccace lui plaisait infiniment. Son valet de chambre, Antoine Le Maçon, lui dédia la traduction du Décaméron qu’il publia en 1545. Ce livre enchanta la cour.

Marguerite fait dire à une dame imaginaire :

« Entre autres, je croy qu’il n’y a nul de vous qui n’ait leu les Cent Nouvelles de Bocace, nouvellement traduictes d’ytalien en françois, que le roy François, premier de son nom, monseigneur le Daulphin, madame la Daulphine, madame Marguerite, font tant de cas, que si Bocace, du lieu où il estoit, les eut peu oyr, il debvoit resusciter à la louange de telles personnes. »