Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/27

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soufflet, lui disant : « Madame, vous en voulez trop « savoir[1] ! »

Mais celle qui s’était toujours « laissé gagner à tout le monde » se laissa gagner peu à peu au roi son mari, et la cour de Nérac sentit plus que jamais le fagot. On y jouait des farces de la façon de Marguerite, où le papisme était peu ménagé. Il faut, pour bien connaître Marguerite, se la figurer dans sa petite courde Nérac, sous la cape béarnaise, avec cette cotte noire qu’elle ne cessa de porter depuis la mort de son fils Jean, vieillie, ayant perdu sa beauté, mais non le don de plaire, ouvrant ses yeux spirituels et animés, souriant doucement de sa grande bouche, et, les affaires expédiées, une tapisserie à demi brodée à la main, conversant avec des gens de savoir ou contant lestement quelque conte de moinerie. Puis il faut l’accompagner jusque dans son retrait et suivre sur le papier les aveux de tristesse profonde qu’elle laisse échapper. C’est a lors, dans la solitude, que les vers du vieux Dante de son enfance lui reviennent à l’esprit :

. . . Nessun maggior dolore
Che ricordarsi del tempo felice
Nella miserii. . .

Et elle les traduit en son langage ingénu :

Douleur n’y a qu’au temps de la misère
Se recorder de l’heureux et prospère,
Comme autrefoyé en Dante j’ay trouvé.
Mais le sçay mieulx pour avoir esprouvé
Félicité et infortune austère.

  1. Théodore de Bèze.