Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/289

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buê à ce deuil maternel la mélancolie de mes jeunes années et ma disposition à l’ennui ". »

Mais comment éclaircir ces mystères délicats ? Une autre mère, d’ailleurs, inocula à Sainte-Beuve la maladie du siècle. Cette mère est la Révolution. C’est elle qui légua a ses fils un sublime mécontentement, le désir d’une beauté mal définie, le malaise des appétits inassouvis. Depuis 89, toutes les bornes du possible étant renversées, l’inquiétude et ses angoisses devinrent infinies2.

Telles sont les circonstances dans lesquelles Sainte-Beuve, journaliste et carabin, pourvu de science, de philosophie et d’art, et ayant déjà fait le tour des idées de son temps, composa dans un grenier, à la chandelle, les poésies qu’il publia en 1828.

Ce sont des élégies, et ce ne pouvait être autre chose. Il s’y mêle quelques pièces de facture qui furent ajoutées au dernier moment, lorsque le jeune poète fut admis dans le cénacle, j’allais dire dans l’atelier, et vit Hugo travailler les mots.

Le débutant, pour donner à ses poésies un attrait plus sensible, un charme plus^touchant, eut recours

1. Lettre à M. de Fabière, 25 juin 1862. (Correspondance de Sainte-Beuve. C. Lévy, éditeur.)

2. « Alors paraît la maladie du siècle, l’inquiétude de Werther et de Faust, toute semblable à celle qui, dans un moment semblable, agita les hommes il y a 1800 ans. Je veux dire le mécontentement du présent, le vague désir d’une beauté supérieure et d’un bonheur idéal, la douloureuse aspiration vers l’infini. L’homme souffre de douter et cependant il doute ; il essaye de ressaisir ses croyances, elles se fondent dans la main. »

(Taine, Histoire ie lu littérature anglaise, t. ni.)

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