Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/298

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à un autre jaune. » Eh bien, ce n’est pas là laisser flotter sa pensée ; c’est gagner péniblement une gageure. Il eût été mieux inspiré si, en assemblant des images de nuance pareille, il avait imité l’homme dont parle Diderot, l’insensé qui ne s’aperçoit pas qu’il change d’idée, le fou que chacun de nous est à son heure.

Puisque le volume est ouvert à l’endroit des rayons jaunes, je ne tournerai pas le feuillet avant d’avoir fait encore une remarque. Après que le poète a rappelé l’ensevelissement de sa vieille tante, il songe :

Elle m’aima pourtant… et ma mère aussi m’aime, Et ma mère à son tour mourra.

Cette pensée choque chez un élégiaque’ ; elle est ici bien durement exprimée. 11 m’est impossible de ne pas y voir un souvenir très direct de ces vers de François Villon :

Si ne suis, bien le considère, Filz d’ange, portant dyadème…

I. C’est au poète et seulement au poète que je fais une querelle. Mm0 Sainte-Beuve mourut le 17 novembre 1850, à l’âge de quatre-vingt-six ans. On voit, par un fragment de lettre à l’abbé Barbe, que Sainte-Beuve ressentit profondément cette perte :

« Je la quittais (ma mère) gaie et riant, à six heures et demie. — Une demi-heure après, la douleur revenait plus vive et suspendait en un clin d’œil la circulation de la vie. — Je me croyais seul auparavant, et je m’aperçois, d’aujourd’hui seulement, que je suis vraiment seul et que je n’ai plus personne derrière moi.

« Je n’ai, non plus, personne devant moi, ayant laissé passer la saison du mariage et de ces liens qui renouent avec l’avenir… » (Les -’eunes années de Sainte-Beuve, Lettre xvi. Didier, éditeur.)