Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/299

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Mon père est mort, Dieu en ayt l’ame, Quant est du corps, il gyst soubz lame. J’entends que ma mère mourra, Et le filz pas ne demourra.

François Villon, né dans un siècle dur et sombre, dans le siècle des danses macabres, n’était pas fort enclin à la douceur. C’était un mauvais garçon ; mais il se montre, en ce cas particulier, plus sensible de cœur et plus délicat d’expression que son moderne imitateur. S’il se dit que sa mère mourra et s’il s’arrête à cette idée, ce n’est pas parce qu’un rayon jaune lui a traversé le cerveau ; c’est parce qu’il songe en chrétien que toute la race d’Adam est vouée à la mort, et il ne sépare pas, dans sa pensée, la mort de sa mère de sa propre mort : Et le fils pas ne demourra. Ce trait touartiant manque à la strophe de Sainte-Beuve. Mais c’est trop entrer dans le détail et trop céder au plaisir, que sentait si bien Sainte-Beuve, au délicat plaisir de piquer des notes. Il faut me résumer. A part la veine anglaise, à part ces petits poèmes assez purs et déjà curieux, fins de sentiment et finis d’expression, les Poésies de Joseph Delorme manquent de calme, de sérénité. L’expression en est contournée comme la pensée. Le vers grimace, mais le pli, bien que pénible et choquant, n’est pas vulgaire. Toute cette poésie-là boite ; du moins elle ne rampe pas. Si l’on veut que je m’explique autrement, c’est une liqueur fermentée, d’un goût acre et piquant, mais qui a bien aussi son bouquet et sa rare saveur.

Il y a dans le premier recueil de Sainte-Beuve un morceau de facture sur la rime et une ode au nouveau