Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/309

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phes d’une grâce exquise et singulière sur un portrait de Gérard ? Si le trésor n’est pas pur, ce n’en est pas moins un trésor.

En résumé, Joseph Delorme, les Consolations et les Pensées d’août marquent les modes divers d’une même nature. Nous y voyons Sainte-Beuve identique à lui-même sous trois aspects différents. Ainsi de nous tous

   nous ne restons pas un instant les mêmes, et pourtant nous ne

devenons jamais autres que nous ne sommes. Nous nous agitons, mais nous ne changeons pas. Sainte-Beuve se montre dans ses trois manières poétiques l’homme sensuel, perspicace et tourmenté, qu’il ne pouvait cesser d’être qu’en cessant d’être Sainte-Beuve. Le reste est accidentel et dépend des circonstances. Nous le voyons dans Joseph Delorme fouetté d’âpres désirs et gardant de sa première jeunesse l’illusion du malheur. C’est celle qu’on chasse la dernière. On croit longtemps qu’on est comblé d’infortunes rares et doué de magnifiques tristesses. Puis on reconnaît un jour qu’on se flattait et que, même en douleur, on mène un train fort ordinaire. Les Consolations marquent ce moment de la vie. Sainte-Beuve s’y montre aussi tranquille qu’il peut l’être, presque apaisé, presque satisfait. C’est pourquoi son sentiment s’est purifié et son expression adoucie. Mais le désir qui seul donnait la beauté aux choses s’éteint avec l’âge. Rien ne sourit plus. Adieu les mystères charmants et magnifiques qui remplissaient pour nous la nature et nous faisaient vivre dans un monde enchanté ! On se lasse ; on ne se donne plus. On se retire, on est trahi, et, ce qui est plus cruel encore,