Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/316

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dévorant les odes du prince des vieux rimeurs français, montre sa noble origine et prouve qu’il était poète de race. Qu’importe ce qui est écrit ? Ce qu’on lit compte seul. Un miroir ne sert de rien à un aveugle. J’affirme qu’il n’y avait pas alors en France, dans les universités et dans les académies, vingt personnes capables de lire Ronsard comme le lisait ce petit paysan’.

Mais qu’allait-il devenir ? Un jeune campagnard, sachant, comme lui, l’arithmétique et l’histoire sainte, fait le plus souvent connaissance avec la charrue et la faux paternelles. S’il a des goûts supérieurs à sa condition, une bonne conduite et pas de bien, il entre au séminaire et se fait curé. Il y a aussi, dans les villes, des industries qui tentent les gars qui ne sont point manchots. C’est, par exemple, un joli métier que celui de sculpteur de meubles. L’art rustique des armoires et des buffets à fleurs se perd ; c’est dommage ! Mais, quand on a de l’esprit au bout des doigts, on peut encore gagner sa vie à sculpter en plein chêne des bouquets d’églantines et de marguerites. Est-ce cela qui tenta Albert Glatigny ? Devait-il à Lisieux, comme jadis maître Adam a Nevers, manier le rabot et la varlope en composant des chansons ? Non ; il était d’humeur vagabonde, et, s’il se fit clerc d’huissier (il ne manque pas d’huissiers en Normandie), ce fut uniquement pour sauter tout le jour les ruis-

i. Cette histoire du Ronsard trouvée dans le grenier a été contée par Albert Glatigay au poète José-Maria de Heredia, de qui je la tiens.

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