Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/319

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canif dans le cœur, se fendit le pouce et n’en resta pas moins un détestable comédien.

La poésie lui réussit infiniment mieux. C’est à Alen-çon, dit-on, que les Odes funambulesques de Théodore de Banville lui tombèrent sous les yeux. Ces poèmes lyriques et moqueurs, pleins de grâce capricieuse, de joie spirituelle, de fantaisie charmante ; ce livre, qu’on lit comme une bluette et qu’on relit comme un chef-d’œuvre, finit l’initiation commencée par le vieux Ronsard. Ces arbres bleus, ces ciels roses, ce grand nombre de lis et de cytises ; ces courtisanes spirituelles, ces hommes de lettres disloqués et souriants, ce monde absurde et charmant qui est une fête de fous et dans lequel les imbéciles n’ont d’autre fonction que d’amuser beaucoup les gens d’esprit, ce monde où tout rit, étincelle et s’en va en fumée, c’était précisément le monde réel comme le comprenait notre Glatigny, qui voyait de ce même bleu et de ce même rose, mais qui ne savait pas dire encore et qui épela en écolier généreux les Odes funambulesques et, sans désemparer, les poésies de Victor Hugo, d’Alfred de Vigny, de Charles Baudelaire et de Leconte de Lisle.

Il acheva de se déniaiser à Paris, aux abords de la brasserie des Martyrs, en compagnie de Baudelaire, de Monselet, de Malassis, de Charles Bataille. C’est alors qu’il donna les Vignes folles. 11 avait dix-huit ans.

Comme il avait deviné Ronsard, il devina Paris à première vue et fut Parisien du premier coup ; mais son humeur vagabonde l’emporta et il reprit sa vie errante.