Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/36

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et l’abbé Boisrobert en était un parfait exemplaire.

À peu de temps de là (vers 1654), Paul Scarron, muni d’une assez lourde bourse par son père, qui, malgré l’âge, n’était point trop avare, partit pour Rome. C’était un voyage qu’on tentait rarement à cette époque, et plus d’un qui l’entreprit s’arrêta à Lyon. Le jeune abbé mena joyeuse vie dans la cité des papes, où les courtisanes foisonnaient. Quant au Colisée, aux arcs de triomphe, à Saint-Pierre, aux merveilles de l’antiquité et de la renaissance, il y fit assurément beaucoup d’attention. Il aimait les arts et se plaisait aux belles choses, mais son penchant le portait vite à rire et à se moquer. Il rencontra dans un faubourg un homme plus âgé que lui de quelques années, grave, paisible, modeste, sublime de génie et de simplicité, déjà l’honneur de la peinture française, Nicolas Poussin. L’abbé, très capable de goûter la peinture et même peignant à ses heures, se fit, un peu de force et par importunité, le compagnon de cet homme timide qui vivait dans la retraite, en bon ouvrier, avec sa jeune femme. Nicolas Poussin s’attachait à une belle ligne d’horizon, à un noble profil d’architecture, aux formes pures d’un groupe de femmes et d’enfants dans la campagne. Il voyait la beauté des choses. Scarron avait un autre goût ; il lui fallait des scènes de cabaret, des querelles de portefaix, les grosses joies, les grosses colères du peuple. Il saisissait avec beaucoup d’esprit la nature dans sa bassesse et dans sa difformité. Il fit ses adieux à Rome et à Poussin et reparut à Paris dans toute la force de sa jeunesse.

Bien fait, de bonne mine, adroit d’esprit et de corps,