les nourrissait et il se fût fâché tout rouge si on avait cru un mot de ce qu’il disait d’elles. Il en eût nourri bien d’autres. Céleste Palaiseau, qui l’avait aimé au temps passé, vivait retirée dans le couvent de la Conception. Le couvent fit banqueroute et Céleste se trouva un matin dans la rue avec sa guimpe et un paquet de hardes. Elle se rappela le beau cavalier qu’elle avait aimé et qui n’avait plus maintenant ni bras ni jambes. Il la reçut et la prit chez lui avec une religieuse qui l’avait suivie et ne voulait pas la quitter. Il voulait le bien des autres et le sien. Pour rendre la vie douce à autrui, il n’est pas nécessaire d’être dur à soi-même ; défiez-vous des bourreaux de soi ; ils vous maltraiteront par mégarde. Paul Scarron était de la bonne espèce. Il aimait à rompre le pain. Pour sa part, il profitait de ce qu’il avait du moins encore un estomac et il en tirait le plus d’agrément possible. « Je fais valoir ce qui me reste, » disait-il en dépêchant les bons morceaux. Comme Panurge, il se ruait en cuisine. Il chargea son cerveau de pourvoir son ventre et se fit poète pour dîner, poète à la douzaine, poète du coin. Du moins, il fit son métier en homme d’esprit. Il avait le don d’écrire, un art de bien dire les choses des halles, une Muse enfin, une petite Muse au nez camard. Et il le savait bien ! La dédicace était son gagne-pain. Il louait ceux qui lui faisaient du bien et il donnait du monseigneur aux sots qui lui venaient en aide. Ainsi faisaient pour lors les poètes crottés, et, bien que n’ayant plus de jambes, il était de la confrérie. Il en coûta dix mille livres au financier Montoron pour être comparé par Pierre Corneille à
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