Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/52

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la Charité, dans le faubourg Saint-Germain, et il alla loger rue des Saint-Pères, à l’hôtel de Troyes.

Hôpital ambulant, il se faisait porter tous les matins dans son bain gélatineux, d’où il sortait, d’ailleurs, aussi infirme qu’il y était entré. Il avait à l’hôtel de Troyes une voisine avec laquelle il se lia. C’était une dame de Neuillant, vieille, malsaine, avare et dévote. Elle avait une filleule la plus jolie du monde, qui revenait d’Amérique avec sa mère. Scarron souhaita de la voir, non pas seulement parce qu’elle était jolie, mais aussi parce qu’elle venait des grandes Indes, où il voulait aller.

Oui, cet homme qui ne pouvait descendre de son escabeau était résolu à s’embarquer pour le nouveau monde. Que n’imagine-t-on pas pour se guérir ? Scarron comptait sur le soleil des tropiques pour redevenir un homme ordinaire. Un commandeur de Poincy lui avait mis cette folie dans la tête. Ce commandeur de Poincy revenait de la Martinique, où il avait laissé, disait-il, sa goutte et ses rhumatismes, et il conseillait fort à Scarron d’aller chercher ses bras et ses jambes auxgrandes Indes, où ils ne manquerait pas de les trouver. Vers i6f I, une compagnie se forma pour faire un établissement à Cayenne. Sept ou huit cents colons devaient partir. Scarron mit une somme de trois mille livres dans l’entreprise et se fit inscrire comme colon.

Si ce voyage avait été une plaisanterie, elle eût certes compté parmi les plus bouffonnes qui sortirent de cette tête falote et scurrile. Mais Scarron, par extraordinaire, ne riait pas. Il partait pour Cayenne ; c’était chose résolue.