Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/61

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Mme Scarron se comportait devant ce monde si divers avec beaucoup de prudence et de réserve. Elle réformait les mauvais usages du lieu en maîtresse femme et ramenait à la décence son étrange mari. Elle laissait voir parfois une pointe de pruderie ; mais, avec moins de froideur, elle n’eût plus été qu’une hôtesse de taverne, comme la Claudine de Colletet.

À midi, on dressait la table dans la chambre du poète, qui souffrait que beaucoup de gens apportassent leur plat. Mme Scarron rougissait de cette pratique peu digne. Une fois le comte du Lude vint un peu brusquement avec le rôti. Il le mangea avec le mari ; la femme se retira dans sa chambre.

Souvent les convives, tous un peu païens, mangeaient du ragoût en carême. Mme Scarron n’y touchait pas et se faisait servir de la salade et un hareng. Toutefois, n’ayant que yoo francs par an pour approvisionner la maison, elle ne faisait pas fi de la provende qui arrivait de toutes parts. Scarron recevait pâtés, chapons, fromages, bois, livres, etc. Il payait en vers, ce qui était monnaie de bon aloi, car il était alors fameux. Mme de Scudéry l’avait mis dans sa Clélie, sous le nom de Scaurus, en compagnie des illustres. Son Virgile travesti, paru en 1648, faisait le délice de Paris et des provinces. Il avait des troupeaux d’imitateurs qui travestissaient Lucain ou Ovide.

Scarron, lui, qui avait du bon sens et des lettres, n’éprouvait pas l’admiration qu’il inspirait : « Tous ces travestissements de livres, disait-il, et mon Virgile tout le premier, ne sont que de vraies sottises. Peut-être que les grands esprits qui sont gagés pour