Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/111

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Le buffet d’acajou où je relayais me semblait sans difficulté l’auberge du Cheval-Blanc. Le couloir m’était une grande route avec ses perspectives changeantes et ses rencontres imprévues. Confiné dans un petit espace sombre, je jouissais d’un vaste horizon et j’éprouvais, entre des murs connus, ces surprises qui font le charme des voyages. C’est que j’étais alors un grand magicien. J’évoquais pour mon amusement des êtres aimables et je disposais à souhait de la nature. J’ai eu, depuis, le malheur de perdre ce don précieux. J’en jouissais abondamment dans ce jour de pluie où je fus postillon.

Cette jouissance aurait dû suffire à mon contentement ; mais est-on jamais content ? L’envie me vint de surprendre, d’éblouir, d’étonner des spectateurs. Ma casquette de velours et mes grelots ne m’étaient plus de rien si personne ne les admirait. Comme j’entendais mon père et ma mère causer dans la chambre voisine, j’y entrai avec un grand fracas. Mon père m’examina pendant quelques instants ; puis il haussa les épaules et dit :

— Cet enfant ne sait que faire ici. Il faut le mettre en pension.