Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/112

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— Il est encore bien petit, dit ma mère.

— Eh bien, dit mon père, on le mettra avec les petits.

Je n’entendis que trop bien ces paroles ; celles qui suivirent m’échappèrent en partie, et, si je peux les rapporter exactement, c’est qu’elles m’ont été répétées plusieurs fois depuis.

Mon père ajouta :

— Cet enfant, qui n’a ni frères ni sœurs, développe ici, dans l’isolement, un goût de rêverie qui lui sera nuisible par la suite. La solitude exalte son imagination et j’ai observé que déjà sa tête était pleine de chimères. Les enfants de son âge qu’il fréquentera à l’école lui donneront l’expérience du monde. Il apprendra d’eux ce que sont les hommes ; il ne peut l’apprendre de vous et de moi qui lui apparaissons comme des génies tutélaires. Ses camarades se comporteront avec lui comme des égaux qu’il faut tantôt plaindre et défendre, tantôt persuader ou combattre. Il fera avec eux l’apprentissage de la vie sociale.

— Mon ami, dit ma mère, ne craignez-vous pas que, parmi ces enfants, il n’y en ait de mauvais ?