Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/122

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yeux. Je suis né spectateur et je conserverai, je crois, toute ma vie cette ingénuité des badauds de la grande ville, que tout amuse et qui gardent, dans l’âge de l’ambition, la curiosité désintéressée des petits enfants. De tous les spectacles auxquels j’ai assisté, le seul qui m’ait ennuyé est celui qu’on a dans les théâtres en regardant la scène. Au contraire, les représentations de la vie m’ont toutes diverti, à commencer par celles que j’eus dans la pension de mademoiselle Lefort.

Je continuai donc à regarder ma maîtresse et, me confirmant dans l’idée qu’elle était triste, je demandai à Fontanet d’où venait cette tristesse. Sans rien affirmer de positif, Fontanet l’attribuait au remords et croyait bien se rappeler qu’elle fut subitement imprimée sur les traits de mademoiselle Lefort, au jour, déjà ancien, où cette personne lui confisqua sans nul droit une toupie de buis et commit presque aussitôt un nouvel attentat ; car, pour étouffer les plaintes de celui qu’elle avait spolié, elle lui enfonça le bonnet d’âne sur la tête.

Fontanet concevait qu’une âme souillée de