Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/127

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Mes larmes furent agréables à mademoiselle Lefort ; elle m’appela auprès d’elle et me dit :

— Pierre Nozière, vous avez pleuré ; voici la croix d’honneur. Apprenez que c’est moi qui ai fait cette poésie. J’ai un gros cahier rempli de vers aussi beaux que ceux-là ; mais je n’ai pas encore trouvé d’éditeur pour les imprimer. Cela n’est-il pas horrible et même inconcevable ?

— Oh ! mademoiselle, lui dis-je, je suis bien content. Je sais maintenant la cause de votre chagrin. Vous aimez la pauvre Jeanne qui est morte dans le hameau, et c’est parce que vous pensez à elle, n’est-ce pas, que vous êtes triste et que vous ne vous apercevez jamais de ce que nous faisons dans la classe ?

Malheureusement, ces propos lui déplurent ; car elle me regarda avec colère et dit :

— Jeanne est une fiction. Vous êtes un sot. Rendez cette croix et retournez à votre place.

Je retournai à ma place en pleurant. Cette fois, c’est sur moi que je pleurais, et j’avoue que ces nouvelles larmes n’avaient pas cette espèce de douceur qui s’était mêlée à celles que la pauvre Jeanne m’avait tirées. Une chose