Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/134

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penchant à admirer ce que je ne comprenais pas. J’adorais les grimoires ; et tout, ou peu s’en faut, m’était grimoire. Fontanet, au contraire, ne prenait plaisir à examiner un objet qu’autant qu’il en concevait l’usage. Il disait : « Tu vois, il y a une charnière, cela s’ouvre. Il y a une vis, cela se démonte. » Fontanet était un esprit juste. Je dois ajouter qu’il était capable d’enthousiasme en regardant des tableaux de batailles. Le Passage de la Bérézina lui donnait de l’émotion. La boutique de l’armurier nous intéressait l’un et l’autre. Quand nous voyions, au milieu des lances, des targes, des cuirasses et des rondaches, M. Petit-Prêtre, revêtu d’un tablier de serge verte, s’en aller, boitant comme Vulcain, prendre au fond de l’atelier une antique épée qu’il posait ensuite sur son établi et qu’il serrait dans un étau de fer pour nettoyer la lame et réparer la poignée, nous avions la certitude d’assister à un grand spectacle ; M. Petit-Prêtre nous apparaissait haut de cent coudées. Nous restions muets, collés à la vitre. Les yeux noirs de Fontanet brillaient et toute sa petite figure brune et fine s’animait.