Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/179

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bonne créature. On la pria de jouer au piano. Elle joua un nocturne de Chopin : je n’ai jamais rien entendu de si beau. Je croyais sentir les doigts mêmes d’Alice, ses doigts longs et blancs, dont elle venait d’ôter les bagues, effleurer mes oreilles d’une céleste caresse.

Quand elle eut fini, j’allai d’instinct et sans y penser la ramener à sa place et m’asseoir auprès d’elle. En sentant les parfums de son sein, je fermai les yeux. Elle me demanda si j’aimais la musique ; sa voix me donna le frisson. Je rouvris les yeux et je vis qu’elle me regardait ; ce regard me perdit.

— Oui, monsieur, répondis-je dans mon trouble…

Puisque la terre ne s’entrouvrit pas en ce moment pour m’engloutir, c’est que la nature est indifférente aux vœux les plus ardents des hommes.

Je passai la nuit dans ma chambre à m’appeler idiot et brute et à me donner des coups de poing par le visage. Le matin, après avoir longuement réfléchi, je ne me réconciliai pas avec moi-même. Je me disais : « vouloir expri-