Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/182

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mets autant que possible à ma place entre ceux qui ont plus d’esprit que moi et ceux qui en ont moins, et je compte sur l’intelligence des premiers. Par contre, je ne suis plus trop rassuré en face de moi-même… Mais je vous conte une histoire de ma dix-septième année. Vous concevez qu’alors cette timidité et cette audace mêlées faisaient de moi un être tout à fait absurde.

Six mois après l’affreuse aventure que je vous ai dite, et ma rhétorique étant terminée avec quelque honneur, mon père m’envoya passer les vacances au grand air. Il me recommanda à un de ses plus humbles et de ses plus dignes confrères, à un vieux médecin de campagne, lequel pratiquait à Saint-Patrice.

C’est là que j’allai. Saint-Patrice est un petit village de la côte normande qui s’adosse à une forêt et qui descend doucement vers une plage de sable, resserrée entre deux falaises. Cette plage était alors sauvage et déserte. La mer, que je voyais pour la première fois, et les bois, dont le calme était si doux, me causèrent d’abord une sorte de ravissement. Le vague des eaux et des feuillages était en har-