Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/185

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« Et la forêt de myrtes étend son ombrage… » Oh ! je la connaissais, cette forêt de myrtes ; je l’avais en moi tout entière. Mais je ne savais pas son nom. Virgile venait de me révéler la cause de mon mal. Grâce à lui, je savais que j’aimais.

Mais je ne savais pas encore qui j’aimais. Cela me fut révélé l’hiver suivant, quand je revis madame Gance. Vous êtes sans doute plus perspicace que je ne fus. Vous l’avez deviné, c’est Alice que j’aimais. Admirez cette fatalité ! J’aimais précisément la femme devant laquelle je m’étais couvert de ridicule et qui devait penser de moi pis même que du mal. Il y avait de quoi se désespérer. Mais alors le désespoir était hors d’usage ; pour s’en être trop servi, nos pères l’avaient usé. Je ne fis rien de terrible ni de grand. Je ne m’allai point cacher sous les arceaux ruinés d’un vieux cloître, je ne promenai point ma mélancolie dans les déserts ; je n’appelai point les aquilons. Je fus seulement très malheureux et passai mon baccalauréat.

Mon bonheur même était cruel : c’était de voir et d’entendre Alice et de penser : « Elle