Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/184

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goût que j’ai heureusement gardé. À dix-sept ans j’adorais Virgile et je le comprenais presque aussi bien que si mes professeurs ne me l’avaient pas expliqué. En vacances, j’avais toujours un Virgile dans ma poche. C’était un méchant petit Virgile anglais de Bliss ; je l’ai encore. Je le garde aussi précieusement qu’il m’est possible de garder quelque chose ; des fleurs desséchées s’en échappent à chaque fois que je l’ouvre. Les plus anciennes de ces fleurs viennent de ce bois de Saint-Patrice où j’étais si heureux et si malheureux à dix-sept ans.

Or, un jour que je passais seul à l’orée de ce bois, respirant avec délices l’odeur des foins coupés, tandis que le vent qui soufflait de la mer mettait du sel sur mes lèvres, j’éprouvai un invincible sentiment de lassitude, je m’assis à terre et regardai longtemps les nuages du ciel.

Puis, par habitude, j’ouvris mon Virgile et je lus : Hic, quos durus amor

« Là, ceux qu’un impitoyable amour a fait périr en une langueur cruelle vont cachés dans des allées mystérieuses, et la forêt de myrtes étend son ombrage alentour… »