Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/194

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

du corps dont j’avais vu l’ombre, et, montrant du doigt cette place :

— Elle était là, là, vous dis-je…

La vieille s’approcha, une chandelle à la main, et arrêta sur moi ses horribles yeux sans regard, puis :

— Je vois, à cette heure, dit-elle, que vous ne me trompez pas, et que vous êtes bien un Nozière. Seriez-vous point le fils à Jean, le docteur de Paris ? J’ai connu son oncle, le gars René. Il voyait, lui aussi, une femme que personne ne voyait. Il faut croire que c’est une punition de Dieu sur toute la famille pour la faute de Claude le chouan, qui perdit son âme avec la femme du boulanger.

— Parlez-vous, lui dis-je, de Claude, dont le squelette fut trouvé dans le tronc creux d’un émousse, avec un fusil et un chapelet ?

— Mon jeune monsieur, le chapelet ne lui servit de rien. Il s’était damné pour une femme.

La vieille ne m’en dit pas davantage. Je pus à peine goûter le pain, les œufs, le lard et le cidre qu’elle me servit. Mes yeux se tournaient sans cesse vers le mur où j’avais vu l’ombre. Oh ! je l’avais bien vue ! Elle était