Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/209

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chose, on veut la posséder. C’est un penchant naturel, que les lois ont prévu. Les Bohémiens de Béranger, qui disent que voir, c’est avoir, sont des sages d’une espèce fort rare. Si tous les hommes pensaient comme eux, il n’y aurait pas de civilisation et nous vivrions nus et sans arts comme les habitants de la Terre de Feu. vous n’êtes point de leur sentiment ; vous aimez les vieilles tapisseries où l’on voit des cigognes sous des arbres et vous en couvrez tous les murs de la maison. Je ne vous le reproche pas, loin de là. Mais comprenez donc Suzanne et son coq.

— Je la comprends, elle est comme petit Pierre, qui demanda la lune dans un seau d’eau. On ne la lui donna pas. Mais, mon ami, n’allez pas dire qu’elle prend un coq peint pour un coq véritable, puisqu’elle n’en a jamais vu.

— Non ; mais elle prend une illusion pour une réalité. Et les artistes sont bien un peu responsables de sa méprise. Voilà bien longtemps qu’ils cherchent à imiter, par des lignes et des couleurs, la forme des choses. Depuis combien de milliers d’années est mort ce brave