Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/217

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la logique de cette petite âme ; mais on la juge d’après nos idées, non d’après les siennes. Et, parce qu’elle n’a pas notre raison, on décide qu’elle n’a pas de raison. Quelle injustice ! Moi qui sais me mettre au vrai point de vue, je découvre un esprit de suite là où le vulgaire n’aperçoit que des façons incohérentes.

Pourtant, je ne m’abuse pas ; je ne suis pas un père idolâtre ; je reconnais que ma fille n’est pas beaucoup plus admirable qu’un autre enfant. Je n’emploie pas, en parlant d’elle, des expressions exagérées. Je dis seulement à sa mère :

— Chère amie, nous avons là une bien jolie petite fille.

Elle me répond à peu près ce que madame Primerose répondait quand ses voisins lui faisaient un semblable compliment :

— Mon ami, Suzanne est ce que Dieu l’a faite : assez belle, si elle est assez bonne.

Et, en disant cela, elle répand sur Suzanne un long regard magnifique et candide, où l’on devine, sous les paupières abaissées, des prunelles brillantes d’orgueil et d’amour.

J’insiste, je dis :

— Convenez qu’elle est jolie.