Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/221

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Son dos, couvert d’un fichu en pointe, est d’un ridicule attendrissant ; sa petite tête, qu’elle tourne par moments vers moi, exprime une satisfaction plus touchante encore.


Je n’y puis tenir. J’oublie Némésis, je m’écrie :

— Voyez-la : elle est adorable dans son tiroir ! »

D’un geste à la fois mutin et craintif, sa maman me met un doigt sur la bouche. Puis elle retourne auprès du tiroir saccagé. Cependant je poursuis ma pensée :

— Chère amie, si Suzanne est admirable par ce qu’elle sait, elle est non moins admirable par ce qu’elle ne sait pas. C’est dans ce qu’elle ignore qu’elle est pleine de poésie.


À ces mots, la maman de Suzanne tourna ses yeux vers moi en souriant un peu de côté, ce qui est signe de moquerie, puis elle s’écria :

— La poésie de Suzanne ! la poésie de votre fille ! Mais elle ne se plaît qu’à la cuisine, votre fille ! Je la trouvai l’autre jour radieuse au milieu des épluchures. Vous appelez cela de la poésie, vous ?