Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/230

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Les épreuves, je l’ai dit, sont terribles. Il faut affronter un crocodile et tuer le Diable. Je dis à Suzanne :

— Mam’selle Suzon, voilà le Diable !

Elle me répond :

— Ça, c’est un nègre !

Cette réponse, empreinte de rationalisme, me désespère. Mais moi, qui sais à quoi m’en tenir, j’assiste avec intérêt à la lutte du Diable et de Gringalet. Lutte terrible qui finit par la mort du Diable. Gringalet a tué le Diable !

Franchement, ce n’est pas ce qu’il a fait de mieux, et je comprends que les spectateurs plus spiritualistes que mam’selle Suzon restent froids et même un peu effrayés. Le Diable mort, adieu le péché ! Peut-être la beauté, cette alliée du Diable, s’en ira-t-elle avec lui ! peut-être ne verrons-nous plus les fleurs dont on s’enivre et les yeux dont on meurt ! Alors que deviendrons-nous en ce monde ? Nous restera-t-il même la ressource d’être vertueux ? J’en doute. Gringalet n’a pas assez considéré que le mal est nécessaire au bien, comme l’ombre à la lumière ; que la vertu est toute dans l’effort et que, si l’on n’a plus de diable à com-