Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/249

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Pierre d’un seul jour. Ah ! c’est qu’elle veut le garder tout petit, tout bébé. Elle sent bien que, plus il grandira, moins il sera son enfant. Elle sent qu’il lui échappe peu à peu. Hélas, ils ne cherchent qu’à se détacher, ces petits ingrats ! La première séparation date de leur naissance. Alors, on a beau être leur mère, on n’a plus qu’un sein et deux bras pour les retenir.

Tout cela fait que Pierre a tout juste vingt-neuf mois. C’est, d’ailleurs, un bel âge et qui m’inspire, pour ma part, beaucoup de considération ; j’ai plusieurs amis de cet âge dont les procédés sont excellents à mon égard. Mais aucun de ces jeunes amis n’a autant d’imagination que Pierre. Pierre assemble les idées avec une extrême facilité et un peu de caprice.

Il se rappelle certaines idées très anciennes. Il reconnaît des visages absents depuis plus d’un mois. Il découvre, dans les images coloriées qu’on lui donne, mille particularités qui le charment et l’inquiètent. Quand il feuillette le livre illustré qu’il préfère et dont il n’a déchiré que la moitié des pages, ses joues se tachent de rouge, et une lueur trop vive passe dans ses yeux.