Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/30

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gardé le souvenir. Hier encore, c’est-à-dire après plus de trente ans, je ne savais pas ce qu’elle était devenue.

Hier, j’allai au bal du ministre des Affaires étrangères. Je suis de l’avis de Lord Palmerston, qui disait que la vie serait supportable sans les plaisirs. Mon travail quotidien n’excède ni mes forces, ni mon intelligence, et j’ai pu parvenir à m’y intéresser. Ce sont les réceptions officielles qui m’accablent. Je savais qu’il serait fastidieux et inutile d’aller au bal du ministre ; je le savais et j’y allai, parce qu’il est dans la nature humaine de penser sagement et d’agir d’une façon absurde.

À peine étais-je entré dans le grand salon, qu’on annonça l’ambassadeur de*** et madame***. J’avais rencontré plusieurs fois l’ambassadeur, dont la figure fine porte l’empreinte de fatigues qui ne sont point toutes dues aux travaux de la diplomatie. Il eut, dit-on, une jeunesse orageuse et il court sur son compte, dans les réunions d’hommes, plusieurs anecdotes galantes. Son séjour en Chine, il y a trente ans, est particulièrement riche en aventures qu’on aime à conter à huis clos en