Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/34

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il rêvait de fourrer la nature entière dans une armoire. C’était dans l’intérêt de la science ; il le disait, il le croyait ; en fait, c’était par manie de collectionneur.

Tout l’appartement était rempli de curiosités naturelles. Seul, le petit salon n’avait été envahi ni par la zoologie, ni par la minéralogie, ni par l’ethnographie, ni par la tératologie ; là, ni écailles de serpents, ni carapaces de tortues, point d’ossements, point de flèches de silex, point de tomahawks, seulement des roses. Le papier du petit salon en était semé. C’étaient des roses en bouton, closes, modestes, toutes pareilles et toutes jolies.

Ma mère, qui avait des griefs sérieux contre la zoologie comparée et la mensuration des crânes, passait sa journée dans le petit salon, devant sa table à ouvrage. Je jouais à ses pieds sur le tapis, avec un mouton qui n’avait que trois pieds, après en avoir eu quatre, en quoi il était indigne de figurer avec les lapins à deux têtes dans la collection tératologique de mon père ; j’avais aussi un polichinelle qui remuait les bras et sentait la peinture : il fallait que j’eusse en ce temps-là beaucoup