Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/35

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d’imagination, car ce polichinelle et ce mouton me représentaient les personnages divers de mille drames curieux. Quand il arrivait quelque chose de tout à fait intéressant au mouton ou au polichinelle, j’en faisais part à ma mère. Toujours inutilement. Il est à remarquer que les grandes personnes ne comprennent jamais bien ce qu’expliquent les petits enfants. Ma mère était distraite. Elle ne m’écoutait pas avec assez d’attention. C’était son grand défaut. Mais elle avait une façon de me regarder avec ses grands yeux et de m’appeler « petit bêta », qui raccommodait les choses.

Un jour, dans le petit salon, laissant sa broderie, elle me souleva dans ses bras et, me montrant une des fleurs du papier, elle me dit :

— Je te donne cette rose.

Et, pour la reconnaître, elle la marqua d’une croix avec son poinçon à broder.

Jamais présent ne me rendit plus heureux.