Aller au contenu

Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/44

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans sa plénitude comprendront un tel élan vers de tels souvenirs.

J’étais heureux. Mille choses, à la fois familières et mystérieuses, occupaient mon imagination, mille choses qui n’étaient rien en elles-mêmes, mais qui faisaient partie de ma vie. Elle était toute petite, ma vie ; mais c’était une vie, c’est-à-dire le centre des choses, le milieu du monde. Ne souriez pas à ce que je dis là, ou n’y souriez que par amitié et songez-y ; quiconque vit, fût-il petit chien, est au milieu des choses.

J’étais heureux de voir et d’entendre. Ma mère n’entrouvrait pas son armoire à glace sans me faire éprouver une curiosité fine et pleine de poésie. Qu’y avait-il donc, dans cette armoire ? Mon Dieu ! ce qu’il pouvait y avoir : du linge, des sachets d’odeur, des cartons, des boîtes. Je soupçonne aujourd’hui ma pauvre mère d’un faible pour les boîtes. Elle en avait de toute sorte et en prodigieuse quantité. Et ces boîtes, qu’il m’était interdit de toucher, m’inspiraient de profondes méditations. Mes jouets aussi faisaient travailler ma petite tête ; du moins, les jouets qu’on me