Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/45

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promettait, et que j’attendais ; car ceux que je possédais n’avaient pour moi plus de mystère, partant plus de charme. Mais qu’ils étaient beaux, les joujoux de mes rêves ! Un autre miracle, c’était la quantité de traits et de figures qu’on peut tirer d’un crayon ou d’une plume. Je dessinais des soldats ; je faisais une tête ovale et je mettais un shako au-dessus. Ce n’est qu’après de nombreuses observations que je fis entrer la tête dans le shako jusqu’aux sourcils. J’étais sensible aux fleurs, aux parfums, au luxe de la table, aux beaux vêtements. Ma toque à plumes et mes bas chinés me donnaient quelque orgueil. Mais ce que j’aimais plus que chaque chose en particulier, c’était l’ensemble des choses : la maison, l’air, la lumière, que sais-je ? la vie enfin ! Une grande douceur m’enveloppait. Jamais petit oiseau ne se frotta plus délicieusement au duvet de son nid.

J’étais heureux, j’étais très heureux. Pourtant, j’enviais un autre enfant. Il se nommait Alphonse. Je ne lui connaissais pas d’autre nom, et il est fort possible qu’il n’eût que celui-là. Sa mère était blanchisseuse et tra-