Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/48

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repaver ; mais, comme il avait plu pendant les travaux, elle était fort boueuse, et Alphonse, qui y vivait comme un satyre dans son bois, était, de la tête aux pieds, de la couleur du sol. Il remuait les pavés avec une joyeuse ardeur. Puis, levant la tête et me voyant muré là-haut, il me fit signe de venir. J’avais bien envie de jouer avec lui à remuer les pavés. Je n’avais pas de pavés à remuer dans ma chambre, moi. Il se trouva que la porte de l’appartement était ouverte. Je descendis dans la cour.

— Me voilà, dis-je à Alphonse.

— Porte ce pavé, me dit-il.

Il avait l’air sauvage et la voix rauque ; j’obéis. Tout à coup le pavé me fut arraché des mains et je me sentis enlevé de terre. C’était ma bonne qui m’emportait, indignée. Elle me lava au savon de Marseille et me fit honte de jouer avec un polisson, un rôdeur, un vaurien.

— Alphonse, ajouta ma mère, Alphonse est mal élevé ; ce n’est pas sa faute, c’est son malheur ; mais les enfants bien élevés ne doivent pas fréquenter ceux qui ne le sont pas.

J’étais un petit enfant très intelligent et très réfléchi. Je retins les paroles de ma mère