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Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/49

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et elles s’associèrent, je ne sais comment, à ce que j’appris des enfants maudits en me faisant expliquer ma vieille Bible en estampes. Mes sentiments pour Alphonse changèrent tout à fait. Je ne l’enviai plus ; non. Il m’inspira un mélange de terreur et de pitié. « Ce n’est pas sa faute, c’est son malheur. » Cette parole de ma mère me troublait pour lui. Vous fîtes bien, maman, de me parler ainsi ; vous fîtes bien de me révéler dès l’âge le plus tendre l’innocence des misérables. Votre parole était bonne ; c’était à moi à la garder présente dans la suite de ma vie.

Pour cette fois du moins, elle eut son effet et je m’attendris sur le sort de l’enfant maudit. Un jour, tandis qu’il tourmentait dans la cour le perroquet d’une vieille locataire, je contemplai ce Caïn sombre et puissant, avec toute la componction d’un bon petit Abel. C’est le bonheur, hélas ! qui fait les Abel. Je m’ingéniai à donner à l’autre un témoignage de ma pitié. Je songeai à lui envoyer un baiser ; mais son visage farouche me parut peu propre à le recevoir et mon cœur se refusa à ce don. Je cherchai longtemps ce que je pourrais bien donner ; mon embarras était grand. Donner à