Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/50

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Alphonse mon cheval à mécanique, qui précisément n’avait plus ni queue ni crinière, me parut toutefois excessif. Et puis, est-ce bien par le don d’un cheval qu’on marque sa pitié ? Il fallait un présent convenable à un maudit. Une fleur peut-être ? Il y avait des bouquets dans le salon. Mais une fleur, cela ressemble à un baiser. Je doutais qu’Alphonse aimât les fleurs. Je fis, dans une grande perplexité, le tour de la salle à manger. Tout à coup, je frappai joyeusement dans mes mains : j’avais trouvé !

Il y avait sur le buffet, dans une coupe, de magnifiques raisins de Fontainebleau. Je montai sur une chaise et pris de ces raisins une grappe longue et pesante qui remplissait la coupe aux trois quarts. Les grains d’un vert pâle étaient dorés d’un côté et l’on devait croire qu’ils fondraient délicieusement dans la bouche ; pourtant je n’y goûtai pas. Je courus chercher un peloton de fil dans la table à ouvrage de ma mère. Il m’était interdit d’y rien prendre. Mais il faut savoir désobéir. J’attachai la grappe au bout d’un fil, et, me penchant sur la barre de la fenêtre, j’appelai Alphonse et fis descendre lentement la grappe