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Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/58

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des scènes de jalousie, et lui écrivait à l’étude des lettres de vingt pages, tant qu’enfin la grosse fille, impatientée, déclara qu’il y en avait assez et qu’elle voulait être tranquille.

La pauvre Marcelle se retira si abattue et si triste, qu’elle fit pitié à ma mère. C’est alors que commença leur liaison, peu de temps avant que ma mère sortît du couvent. Elles promirent de se rendre visite et tinrent parole.

Marcelle avait pour père le meilleur homme du monde, charmant, avec bien de l’esprit et pas le sens commun. Il quitta la marine, sans motif, après vingt ans de navigation. On s’en étonnait. Il fallait s’étonner qu’il fût resté si longtemps au service. Sa fortune était médiocre et son économie détestable.

Regardant par sa fenêtre, un jour de pluie, il vit sa femme et sa fille à pied, fort embarrassées de leurs jupes et de leur en-tout-cas. Il s’aperçut pour la première fois qu’elles n’avaient point de voiture, et cette découverte le chagrina beaucoup. Sur-le-champ il réalisa ses valeurs, vendit les bijoux de sa femme, emprunta de l’argent à divers amis et courut