Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/57

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un fantôme. Il coule en silence sur une mer brumeuse, et j’aperçois à son bord une femme immobile, les bras inertes, les yeux grands et vides.

Je ne devais plus revoir ma marraine.

J’avais dès lors une idée juste de son caractère. Je sentais qu’elle était née pour plaire et pour aimer, que c’était là son affaire en ce monde. Je ne me trompais pas, hélas ! J’ai su depuis que Marcelle (elle se nommait Marcelle) n’a jamais fait que cela.

C’est bien des années plus tard que j’appris quelque chose de sa vie. Marcelle et ma mère s’étaient connues au couvent. Mais ma mère, plus âgée de quelques années, était trop sage et trop mesurée pour devenir la compagne assidue de Marcelle, qui mettait dans ses amitiés une ardeur extraordinaire et une sorte de folie. La jeune pensionnaire qui inspira à Marcelle les sentiments les plus extravagants, était la fille d’un négociant, une grosse personne calme, moqueuse et bornée. Marcelle ne la quittait pas des yeux, fondait en larmes pour un mot, pour un geste de son amie, l’accablait de serments, lui faisait toutes les heures