Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/60

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— Ah ! chère maman, je l’imagine bien.

Il y eut pourtant une brouille entre elles, et la cause en fut un sentiment délicat qu’il ne faudrait point laisser dans l’ombre où l’on cache les fautes de ceux qui nous sont chers, mais que je ne dois pas analyser, moi, comme tout autre pourrait le faire. Je ne le dois pas, dis-je, et ne le puis non plus, n’ayant sur ce sujet que des indices extrêmement vagues. Ma mère était alors fiancée à un jeune médecin qui l’épousa peu après et devint mon père. Marcelle était charmante ; on vous l’a dit assez. Elle inspirait et respirait l’amour. Mon père était jeune. Ils se voyaient, se parlaient. Que sais-je encore ?… Ma mère se maria et ne revit plus Marcelle.

Mais, après deux ans d’exil, la belle aux yeux d’or eut son pardon. Elle l’eut si bien qu’on la pria d’être ma marraine. Dans l’intervalle, elle s’était mariée. Cela, je pense, avait beaucoup aidé au raccommodement. Marcelle adorait son mari, un monstre de petit moricaud qui naviguait depuis l’âge de sept ans sur un navire de commerce, et que je soupçonne véhémentement d’avoir fait la traite des noirs.