Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/61

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Comme il possédait des biens à Rio-de-Janeiro, il y emmena ma marraine.

Ma mère m’a dit souvent :

— Tu ne peux te figurer ce qu’était le mari de Marcelle : un magot, un singe, un singe, habillé de jaune des pieds à la tête. Il ne parlait aucune langue. Il savait seulement un peu de toutes, et s’exprimait par des cris, des gestes et des roulements d’yeux. Pour être juste, il avait des yeux superbes. Et ne crois pas, mon enfant, qu’il fût des Îles, ajoutait ma mère ; il était Français, natif de Brest, et se nommait Dupont. »

Il faut vous apprendre, en passant, que ma mère disait « les Îles » pour tout ce qui n’est pas l’Europe ; et cela désespérait mon père, auteur de divers travaux d’ethnographie comparée.

— Marcelle, poursuivait ma mère, Marcelle était folle de son mari. Dans les premiers temps, on avait toujours l’air de les gêner en allant les voir. Elle fut heureuse pendant trois ou quatre ans ; je dis heureuse parce qu’il faut tenir compte des goûts. Mais, pendant le voyage qu’elle fit en France…, tu ne te rappelles pas, tu étais trop petit.