Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/63

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parce qu’une si belle conquête flattait son amour-propre. Je ne te le nommerai pas ; il est aujourd’hui contre-amiral, et tu as dîné plusieurs fois avec lui.

— Quoi ! c’est V…, ce gros homme rougeaud ? Eh bien, maman, il raconte de jolies histoires de femmes, après dîner, cet amiral-là !

— Marcelle l’aima à la folie. Elle le suivait partout. Tu conçois, mon enfant, que je ne sais pas très bien cette histoire-là. Mais elle finit d’une façon terrible. Ils étaient tous deux en Amérique, je ne puis te dire exactement en quel endroit, parce que je n’ai jamais pu retenir les noms de la géographie. S’étant lassé d’elle, il la quitta sous quelque prétexte et revint en France. Tandis qu’elle l’attendait là-bas, elle apprit par un petit journal de Paris, qu’il se montrait au théâtre avec une actrice, elle n’y put tenir, et, bien que souffrant de la fièvre, elle s’embarqua. Ce fut son dernier voyage. Elle mourut à bord, mon enfant, et ta pauvre marraine, cousue dans un drap, fut jetée à la mer.

Voilà ce que m’a conté ma mère. Je n’en sais