Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/68

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semblable à quelqu’un de ces généraux que j’agitais dans mes petites mains et à qui je dispensais la fortune des armes sur une toile cirée.

Mais il n’était pas en moi d’avoir un cheval, un uniforme, un régiment et des ennemis, toutes choses essentielles à la gloire militaire. C’est pourquoi je pensai devenir un saint. Cela exige moins d’appareil et rapporte beaucoup de louanges. Ma mère était pieuse. Sa piété — comme elle aimable et sérieuse — me touchait beaucoup. Ma mère me lisait souvent la Vie des Saints, que j’écoutais avec délices et qui remplissait mon âme de surprise et d’amour. Je savais donc comment les hommes du Seigneur s’y prenaient pour rendre leur vie précieuse et pleine de mérites. Je savais quelle céleste odeur répandent les roses du martyre. Mais le martyre est une extrémité à laquelle je ne m’arrêtai pas. Je ne songeai pas non plus à l’apostolat et à la prédication, qui n’étaient guère dans mes moyens. Je m’en tins aux austérités, comme étant d’un usage facile et sûr.

Pour m’y livrer sans perdre de temps, je refusai de déjeuner. Ma mère qui n’entendait