Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/69

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rien à ma nouvelle vocation, me crut souffrant et me regarda avec une inquiétude qui me fit de la peine. Je n’en jeûnai pas moins. Puis, me rappelant saint Siméon Stylite, qui vécut sur une colonne, je montai sur la fontaine de la cuisine ; mais je ne pus y vivre, car Julie, notre bonne, m’en délogea promptement. Descendu de ma fontaine, je m’élançai avec ardeur dans le chemin de la perfection et résolus d’imiter saint Nicolas de Patras, qui distribua ses richesses aux pauvres. La fenêtre du cabinet de mon père donnait sur le quai. Je jetai par la fenêtre une douzaine de sous qu’on m’avait donnés parce qu’ils étaient neufs et qu’ils reluisaient ; je jetai ensuite des billes et des toupies et mon sabot avec son fouet de peau d’anguille.

— Cet enfant est stupide ! s’écria mon père en fermant la fenêtre.

J’éprouvai de la colère et de la honte à m’entendre juger ainsi. Mais je considérai que mon père, n’étant pas saint comme moi, ne partageait pas avec moi la gloire des bienheureux, et cette pensée me fut une grande consolation.