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Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/72

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bonne m’y menait souvent et j’y éprouvais un sentiment de sainte allégresse. Le ciel même m’y semblait plus spirituel et plus pur qu’ailleurs, et, dans les nuages qui passaient sur la volière des aras, sur la cage du tigre, sur la fosse de l’ours et sur la maison de l’éléphant, je voyais confusément Dieu le Père avec sa barbe blanche et dans sa robe bleue, le bras étendu pour me bénir avec l’antilope et la gazelle, le lapin et la colombe ; et quand j’étais assis sous le cèdre du Liban, je voyais descendre sur ma tête, à travers les branches, les rayons que le Père éternel laissait échapper de ses doigts. Les animaux qui mangeaient dans ma main en me regardant avec douceur me rappelaient ce que ma mère m’enseignait d’Adam et des jours de l’innocence première. La création réunie là, comme jadis dans la maison flottante du patriarche, se reflétait dans mes yeux, toute parée de grâce enfantine. Et rien ne me gâtait mon paradis. Je n’étais pas choqué d’y voir des bonnes, des militaires et des marchands de coco. Au contraire, je me sentais heureux près de ces humbles et de ces petits, moi le plus petit de tous. Tout me