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figure ou triste ou moqueuse et vous regardait méchamment. J’y voyais un peuple enchanté de malins esprits.

Le père Le Beau se tenait d’ordinaire dans sa chambre à coucher, qui était aussi encombrée que les autres, mais non point aussi poudreuse ; car la vieille servante avait, par exception, licence d’y promener le plumeau et le balai. Une longue table couverte de petits morceaux de carton en occupait la moitié.

Mon vieil ami, en robe de chambre à ramages et coiffé d’un bonnet de nuit, travaillait devant cette table avec toute la joie d’un cœur simple. Il cataloguait. Et moi, les yeux grands ouverts, retenant mon souffle, je l’admirais. Il cataloguait surtout les livres et les médailles. Il s’aidait d’une loupe et couvrait ses fiches d’une petite écriture régulière et serrée. Je n’imaginais pas qu’on pût se livrer à une occupation plus belle. Je me trompais. Il se trouva un imprimeur pour imprimer le catalogue du père Le Beau, et je vis alors mon ami corriger les épreuves. Il mettait des signes mystérieux en marge des placards. Pour le coup, je compris que c’était la plus belle occu-