Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/86

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Nozière… tu sais, la mère de ton père… est morte cette nuit. Nous allons lui dire adieu et l’embrasser une dernière fois.

Et je vis que ma mère avait pleuré. Pour moi, je ressentis une impression bien forte ; car elle ne s’est pas encore effacée depuis tant d’années, et si vague, qu’il m’est impossible de l’exprimer par des mots. Je ne puis même pas dire que c’était une impression triste. La tristesse du moins n’y avait rien de cruel. Un mot peut-être, un seul, celui de romanesque, peut s’appliquer en quelque chose à cette impression qui n’était formée en effet par aucun élément de réalité.

Tout le long du chemin, je pensais à ma grand’mère ; mais je ne pus me faire une idée de ce qui lui était arrivé. Mourir ! je ne devinais pas ce que cela pouvait être. Je sentais seulement que l’heure en était grave.

Par une illusion qui peut s’expliquer, je crus voir, en approchant de la maison mortuaire, que les alentours et tout le voisinage étaient sous l’influence de la mort de ma grand-mère, que le silence matinal des rues, les appels des voisins et des voisines, l’allure rapide des pas-