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En 1789, Dussuel publia une brochure que je ne puis ouvrir sans respect ni lire sans sourire. Cela a pour titre : Les Vœux d’un citoyen, et pour épigraphe : Miseris succurrere disco. L’auteur dit en commençant qu’il forme, sous le chaume, des vœux pour le bonheur des Français. Il trace ensuite, avec candeur, les règles de la félicité publique ; ce sont celles d’une sage liberté, garantie par la Constitution. Il termine en signalant à la reconnaissance des hommes sensibles Louis XVI, roi d’un peuple libre, et il annonce le retour de l’âge d’or.

Trois ans après, on lui guillotinait ses malades, qui étaient en même temps ses amis, et lui-même, suspect de modérantisme, était conduit, sur l’ordre du comité de Sèvres, à Versailles, dans le couvent des Récollets transformé en maison d’arrêt. Il y arriva couvert de poussière et plus semblable à un vieux gueux qu’à un médecin philosophe. Il posa à terre un petit sac contenant les œuvres de Raynal et de Rousseau, se laissa tomber sur une chaise et soupira :

— Est-ce donc la récompense de cinquante ans de vertu ?