Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/92

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Elle datait du XVIIIe siècle, ma grand’mère. Et il y paraissait bien ! Je regrette qu’on n’ait pas écrit ses mémoires. Quant à les écrire elle-même, elle en était bien incapable. Mais mon père n’eût-il pas dû le faire au lieu de mesurer des crânes de Papous et de Boschimans ? Caroline Nozière naquit à Versailles le 16 avril 1772 ; elle était fille du médecin Dussuel, dont Cabanis estimait l’intelligence et le caractère. Ce fut Dussuel qui, en 1786, soigna le dauphin, atteint d’une légère scarlatine. Une voiture de la reine allait tous les jours à Luciennes le prendre dans la maisonnette où il vivait pauvrement avec ses livres et son herbier, comme un disciple de Jean-Jacques. Un jour la voiture rentra vide au palais ; le médecin avait refusé de venir. À la visite suivante, la reine irritée lui dit :

— Vous nous aviez donc oubliés, monsieur !

— Madame, répondit Dussuel, vos reproches m’offensent ; mais ils font honneur à la nature et je dois les pardonner à une mère. N’en doutez pas, je soigne votre fils avec humanité. Mais j’ai été retenu hier auprès d’une paysanne en couches.