Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/10

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l’avait apprécié avant que ses livres lui eussent donné une grande renommée. Sa mauvaise santé, son humeur noire, son labeur assidu l’éloignaient du monde. Ce petit homme bilieux n’était guère plaisant. Pourtant elle l’attirait. Elle estimait très haut son ironie profonde, sa fierté sauvage, son talent mûri dans la solitude, et elle l’admirait avec raison comme un excellent écrivain, l’auteur de beaux essais sur les arts et les mœurs.

Le salon s’emplit peu à peu d’une foule brillante. Il y avait maintenant dans le grand cercle des fauteuils madame de Vresson, dont on contait d’effroyables histoires et qui gardait, après vingt ans de scandales mal étouffés, des yeux d’enfant sur des joues virginales ; la vieille madame de Morlaine, qui poussait en cris perçants ses mots d’esprit, vive, éperdue, agitant ses formes monstrueuses comme une nageuse entourée de vessies ; madame Raymond, la femme de l’académicien ; madame Garain, la femme de l’ancien ministre ; trois autres dames encore ; et, debout contre la cheminée, M. Berthier d’Eyzelles, rédacteur du Journal des Débats, député, qui caressait ses favoris blancs et faisait la roue, tandis que madame de Morlaine lui criait :

— Votre article sur le bimétallisme, une perle, un bijou ! La fin surtout, une pure ivresse !