Aller au contenu

Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/107

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sant M. Lagrange, sommeillant dans un fauteuil vis-à-vis de la bonne dame, douce et tranquille sous sa couronne de cheveux blancs.

Ce vieux savant mondain lui était resté fidèle. C’est lui qui, le lendemain des obsèques de Marmet, avait apporté à la malheureuse veuve le discours empoisonné de Schmoll, et qui, pensant la consoler, l’avait vue suffoquée de colère et de douleur. Elle s’était évanouie dans ses bras. Madame Marmet trouvait qu’il manquait de jugement. C’était son meilleur ami. Ils dînaient souvent ensemble aux tables riches.

Madame Martin, fine et ferme dans sa veste de zibeline entr’ouverte sur un flot de dentelles, réveilla de l’éclat charmant de ses yeux gris le bonhomme qui était sensible à la grâce des femmes. Il lui avait dit, la veille, chez madame de Morlaine, comment viendrait la fin du monde. Il lui demanda si elle n’avait pas eu peur en revoyant la nuit ces tableaux de la terre dévorée par les flammes, ou morte de froid, blanche comme la lune. Tandis qu’il lui parlait avec une galanterie affectée, elle regardait la bibliothèque d’acajou, qui occupait tout le panneau du salon opposé aux fenêtres. Il n’y restait guère de livres, mais sur la tablette inférieure s’allongeait un squelette avec ses armes. On s’étonnait de voir logé chez cette bonne dame