Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/112

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promis de se trouver à la gare. Il avait pris ses arrangements pour le départ et reçu de son éditeur le prix des Blandices. Paul Vence l’avait amené, un soir, à l’hôtel du quai de Billy. Il s’était montré doux, poli, plein de gaieté spirituelle et de joie naïve. Elle se promettait, depuis lors, quelque plaisir à voyager avec un homme de génie, et si original, d’une laideur pittoresque, d’une folie amusante, vieil enfant perdu, plein de vices sincères et d’innocence. Les portières se fermaient : elle ne l’attendait plus. Aussi n’avait-elle pas dû compter sur cette âme impulsive et vagabonde. Au moment où la machine commençait à pousser des souffles rauques, madame Marmet, qui regardait par la portière, dit tranquillement :

— Je crois que voici M. Choulette.

Il longeait le quai, boitant d’une jambe, le chapeau en arrière sur son crâne bossué, la barbe inculte et traînant un vieux sac de tapisserie. Il était presque terrible, et, malgré ses cinquante ans, avait l’air jeune, tant ses yeux bleus étaient clairs et luisaient, tant son visage jauni et creusé avait gardé d’audace ingénue, tant jaillissait de ce vieil homme ruineux l’éternelle adolescence du poète et de l’artiste. En le voyant, Thérèse regretta de s’être donné un compagnon si étrange. Il allait, jetant dans